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Rubrique Cycle III

Faire des mathématiques, ce n’est pas seulement résoudre des problèmes...

Le 11 novembre 2007
Rémi BRISSIAUD

Extrait d’une page publiée le 29-06-2006 sur le site du Café

"faire des mathématiques, ce n’est pas seulement résoudre des problèmes"

Cette proposition n’est évidemment pas indépendante de la distinction faite par Piaget entre "réussir" et "comprendre (en pensée)" (...).

Il ne suffit pas de réussir à résoudre des problèmes, il convient aussi de comprendre le pourquoi et le comment de cette réussite pour qu’elle ne reste pas sans lendemain. Les didacticiens des mathématiques, pour aborder ce sujet, distinguent les connaissances que les élèves mobilisent face à un problème (leurs modèles implicites d’action) et les savoirs que l’institution scolaire se doit d’enseigner aux élèves( 3 ). Et leur point de vue est très piagétien parce qu’ils considèrent généralement que tout ce que les élèves "font", mais qui n’est pas assez rapidement reconnu, dit ou "récupéré" dans un système de savoirs, sera perdu.

Rappelons que dans l’article initial, cette question a été abordée en se référant à un texte récent d’Alain Mercier (2006) qui a été mis en ligne sur le site EducMath.

"… Si pour apprendre comment résoudre des problèmes il faut en rencontrer, c’est dans le cadre d’une situation didactique qu’il faut le faire ; faute de quoi il n’y a pas de raison de progresser plus rapidement que le progrès historique. On comprend alors que le slogan de la "résolution de problèmes" permet de nier l’importance des conditions didactiques et de proposer, sous le prétexte qu’il a plus de sens, un enseignement qui ne s’adresse plus qu’aux rares élèves capables de tirer profit par eux-mêmes de leurs rencontres aléatoires"

Mais, de manière surprenante, il analyse cette prise de position ainsi : Alain Mercier "ne dit pas autre chose que ce qui est mentionné dans les documents d’application qui évoquent "des activités bien choisies et organisées par l’enseignant" (idée développée dans un des documents d’accompagnement). On est loin des « rencontres aléatoires… »."

(...) Fait-on un contresens si on comprend qu’Alain Mercier attire notre attention sur un déséquilibre, qui s’est installé au cours de ces 10 dernières années, entre l’importance accordée dans le discours de formation au fait que les élèves soient mis en " situation de résolution de problème ", c’est-à-dire en situation de recherche, et la moindre importance accordée aux savoirs et aux conditions de leur construction ?

(...) didacticiens et psychologues sont nombreux aujourd’hui à penser qu’il est utile d’alerter les enseignants sur un déséquilibre qui s’installe depuis plusieurs années entre l’attention portée aux situations en tant que situations de recherche et celle qui leur est portée en tant que situations de construction des savoirs.

Quels problèmes à l’école ?

Pour autant, quand David Lefèvre dit qu’ "il serait déraisonnable de jeter en quelque sorte le bébé avec l’eau du bain. Et le bébé, j’ai bien peur que ce soit les situations problème", il a raison : il ne s’agit évidemment pas de rejeter l’idée même de situation de recherche, il s’agit seulement de souligner que toutes les situations de recherches ne se valent pas du point de vue de la construction des savoirs. Considérons par exemple les trois "situations-problèmes" suivantes :

* S1 : Le problème suivant est proposé à une classe de CE1 : "Combien peut-on former de paquets de 12 images avec 99 images ?".

* S2 : Le problème suivant est proposé à une classe de CM : "Alain a des billes, Claire en a deux fois plus et Bernard quatre fois plus. En tout ils en ont 91. Combien en ont-ils chacun ?" (c’est le problème analysé par David Lefèvre dans son texte).

* S3 : L’enseignant propose aux élèves un logigramme ou une grille de Soduku ou un problème d’échecs.

Les trois situations sont des "situations-problèmes" qui vont amener les élèves à chercher, à débattre, à valider certaines solutions et non d’autres, etc. Et pourtant, du point de vue scolaire, les situations S1 et S2 sont beaucoup plus légitimes que la situation S3.

Concernant S1, soyons bref : mon article initial qualifie de "révolution pédagogique" le fait de s’autoriser à poser des problèmes de partage ou de groupement au CP et au CE1, c’est-à-dire avant d’enseigner la division comme symbole de l’équivalence entre les procédures de partage et de groupement ; inutile donc d’insister davantage sur l’intérêt de ce type de situation.

La situation S2 est, elle aussi, complètement pertinente à l’école. Dans un premier temps, les élèves traitent le problème par simulation de ce qui est dit dans l’énoncé en testant des hypothèses : si Alain a 10 billes, Claire en a 20 et Bernard 40. En tout, ça fait… Et dans l’échange collectif, nul doute que de nombreux élèves comprennent qu’on peut aussi traiter ce problème en cherchant le nombre qui, multiplié par 7, donne 91. Il s’agit donc d’un problème de division qui ne s’offre pas d’emblée comme tel !

Alain Mercier, toujours dans le texte déjà cité, dit que " Faire des mathématiques, c’est (…) « pour apprendre comment résoudre des problèmes » (par avance, donc on étudie des classes de problèmes afin de savoir) et non pas « pour que les problèmes soient résolus » (un à un, donc on étudie les problèmes qui se présentent et on les résout comme on peut)". Très clairement, les problèmes S1 et S2 appartiennent à une même classe (celle des problèmes de division) et on voit bien quelle intention didactique, en terme d’acquisition de savoirs, conduit à les proposer aux élèves. Ce n’est pas le cas des situations de type S3.

Faut-il pour autant s’interdire de proposer des situations de type S3 ? Hélas, le temps consacré à ce type d’activité ne l’est pas à favoriser la conceptualisation arithmétique chez les élèves. Si l’enseignant juge qu’il a fait tout ce qu’il devait faire pour favoriser chez ses élèves la compréhension des équivalences entre procédures qui fondent les opérations arithmétiques, les concepts de fractions, de décimaux, etc. Si les élèves prouvent, par leurs compétences en calcul mental notamment, qu’ils savent faire fonctionner ces équivalences, s’ils prouvent par leur comportement dans des situations de type S1 ou S2 qu’ils savent construire ce qu’on appelle en psychologie la "représentation d’un problème" même lorsqu’il s’agit d’un problème nouveau… alors, évidemment, une grille de Soduku n’a jamais fait de mal à un élève. En revanche, le raisonnement qui consiste à penser qu’il serait nécessaire que les élèves apprennent d’abord "à chercher" dans les situations de type S3 avant de les mettre " à chercher " dans des situations de type S1 ou S2 (parce qu’elles sont plus "scolaires"), n’a guère de base scientifique.

Terminons cette partie en remarquant que, bien entendu, les situations S1, S2 et S3 ont été choisies pour permettre au lecteur de théoriser et non pour référer de manière stricte : face à un problème donné, l’enseignant doit toujours se demander si ce problème est proche de S1 ou S2 ou proche de S3.

P.-S.

  • Bideaud J., Vilette B., Lehalle H. (2003). La conquête du nombre et ses chemins chez l’enfant. Lille : Presses du Septentrion
  • Brissiaud R. (2004) La résolution de problèmes arithmétiques : une étude
    longitudinale au CE1. In ARDM (Ed) Séminaire national de didactique des
    mathématiques 2004 Les actes, p. 223-228
  • Brissiaud, R., & Sander, E. (2004) Conceptualisation arithmétique, résolution de problèmes et enseignement des opérations arithmétiques à l’école : une étude longitudinale au CE1. Document présenté au symposium ARDECO "Les processus de conceptualisation en débat : Hommage à Gérard Vergnaud". Clichy-La Garenne. 28-31 Janvier 2004. 10 pages.
  • Brousseau G. (1987) Fondements et méthodes de la didactique. Recherches en didactique des mathématiques, 7-2, 33-115.
  • D’Enfert R. (2006) L’enseignement mathématique à l’école primaire de la
    Troisième République aux annnées 1960 : enjeux sociaux et culturels d’une
    scolarisation "de masse". In SMF (Ed) Gazette des Mathématiciens, 108, 67-81
  • Piaget J. (1974) Réussir et comprendre. Paris : PUF
  • Richard J. F., (2004) Les Activités Mentales (4e édition) : De l’interprétation de l’information à l’action. Paris : Colin.

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